MEDIAS AUTRES ÉCRİTS
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*
Denise AEBERSOLD (artiste peintre, auteure d'une
thèse et d'études sur Céline) : " Bien que Céline
professe un athéisme
radical, son extrémisme l'apparente à un religieux
refoulé. Les analogies entre les thèmes récurrents de
Voyage au bout de la nuit et les grands leitmotive
des mystiques de la chute : nuit, exil, prison,
cosmos-bourbier, notamment, sont extrêmement
troublantes. [...] Sur le plan littéraire, cela signifie
le rejet des mots de prêt-à-porter, la pré-éminence
accordée à l'émotion poétique et à la charge affective
des métaphores et symboles sur le verbe abstrait. La "
révolution " préconisée consiste à condenser dans
l'image le maximum de projections animistes, et de ce
fait, d'en multiplier l'impact émotif. On comprend
mieux, dès lors, les bouleversements profonds que
produit la lecture de Céline. [...] On peut comparer
l'itinéraire de l'écrivain à celui que parcourait
l'adepte : il est empirique et antimatérialiste à la
fois. Céline se veut un opératif, et ce, par le biais
des images : répudiant le verbiage gratuit du
littérateur académique, il charge les mots d'émotion, de
colère, il les manipule jusqu'à ce qu'il transgresse "
des interdictions, une enceinte réservée. " [...]
Bien des indices convergent pour laisser entrevoir, dès
Voyage, l'aspect profondément onirique de romans
que les critiques ont appréhendé trop longtemps, surtout
à sa réception, sous un angle néo-naturaliste et
exotérique. Nous montrerons que le Grand
œuvre célinien, le monde que
l'écrivain recrée par ses métaphores est un réel
animiste et chtonien. Par une stratégie de violence, il
arrache le lecteur au monde de la " surface ", "
l'enfermant bouclant double-tour " dans l'abîme nocturne
et jurant " par le Capricorne " de ne point l'en faire
sortir. Cette incarcération totalitaire dans la Ténèbre
fait le caractère original, unique même, de l'alchimie
célinienne.
(Goétie de Céline, Société d'études céliniennes, 2008).
*
Richard ANACREON
(libraire et collectionneur, ami d'artistes Quartier-Latin 1908-1992).
" Cher ami, / Bien touché par votre lettre votre pensée. Oui certes,
avec Daragnès s'en va notre dernier véritable défenseur - maintenant
c'est la jean-foutrerie ! La haine peut s'en donner à cœur joie. Car
la joie haineuse est la passion du monde - La dernière vacherie : le
Procureur général refuse la levée de mon mandat d'arrêt - j'ai déjà
fait 17 mois de réclusion ici - et je ne suis condamné qu'à un an !
Le fisc court après
tous mes livres pour saisir leurs droits d'auteur. On n'avait jamais
pensé à ça de toute l'Histoire de France, pourtant énormément riche en
persécutions d'écrivains ! / Votre bien sincère. / LF Céline / Tout mon
affectueux souvenir à Mac Orlan. "
(A Richard
Anacréon, le 11 août 1950, Lettres Pléiade, 2009).
*
Louis BALADIER (inspecteur général de l'Education
nationale, professeur des Universités) : " (...)
Céline disait : "
L'homme est nu, dépouillé de tout, même de sa foi en
lui. C'est ça, mon livre. " Le sujet du Voyage, c'est la
dénonciation, allègrement féroce, des faux-semblants et
des filtres culturels que les hommes ont inventés pour
s'éviter la confrontation avec l'horreur de leur
condition mortelle, le " néant individuel " de leur "
puérile et tragique nature ", débouchant sur une "
effroyable catastrophe d'âme. Une dégoûtation ."
C'est l'Ecclésiaste déclamé par un bateleur,
l'exhibition de la nausée et de l'absurde chez les
misérables. "
(L'Ecole des lettres n° 13-14, juillet
1994, pp. 3-41 , copieuse étude à l'occasion de la
publication de Voyage au bout de la nuit au programme de
l'agrégation, BC n° 144, sept. 1994).
* Michel
BEAUJOUR (professeur de littérature française à l'Université de
New-York): " (...) Le monde est enserré dans le filet de
l'interprétation paranoïaque, totalitaire. La réalité objective est là,
fragmentée, déformée, tordue, mais reconnaissable. Bagatelles est
une entreprise de critique totale du monde contemporain : la vie
quotidienne (standardisation, abrutissement), la littérature
(imitation, pauvreté, manque d'émotion réelle), arts plastiques,
musique (négrifiés, sans signification), de l'éducation (stupide,
stérilisante), de la politique, etc... ramenée avec obstination sous le
signe d'une gigantesque entreprise juive de conquête totale du monde,
de domination des aryens, de destruction des valeurs traditionnelles
qui ont fait la force de la race : du folklore, de la virilité.
On ne peut manquer d'être frappé de la cohérence
de ce délire qui ramène tout à lui, qui interprète tout sans hésitation
comme manifestation de la conspiration juive, aussi bien le capitalisme
que le communisme, aussi bien le Jazz que Picasso. On ne peut manquer
également d'être effrayé par le fait qu'apparemment Céline ait " trouvé
ça tout seul " et que la concordance de sa doctrine avec celle
d'un Hitler soit une rencontre d'esprit, que d'ailleurs Céline
pardonnera mal aux Nazis, hommes de mauvais goût, hommes d'action. "
(La
quête du délire, L'Herne n°3, 1963).
*
Pierre BERGE (entrepreneur en confection
de luxe, 1930-2017): " Je me rappelle la fascination qui s'était emparée de moi.
Je le
regardais, étonné de son allure négligée, presque sale, alors
qu'il avait écrit sa thèse sur Semmelweis, l'homme de
l'aseptisation. Je n'ai rien noté de cette conversation. Aujourd'hui je
le regrette. Au détour d'une phrase, après qu'il eut dit tout le mal
qu'il pensait de ses confrères, je lui ai demandé s'il avait lu Henry
Miller." Miller ? Miller ? s'interrogea-t-il, encore un de mes petits
plagiaires ! " Je lui ai dit que non, que c'était mieux que ça, que
grâce au Voyage des écrivains comme Miller existaient, qu'il
devait en être heureux, fier, que c'était lui qui avait ouvert les
portes du langage, que les mots s'étaient envolés comme des oiseaux
retenus prisonniers.
Ca ne
l'intéressait pas. Pourtant il détestait les allemands, les avait
toujours haïs. Il disait " les boches ". Quant à Hitler, il n'avait pas
assez de mépris pour en parler. Il nous raccompagna jusqu'à la route,
le soir tombait, les chiens aboyèrent de nouveau. Il ferma
soigneusement à clef la grille du jardin, nous salua de la main une
dernière fois puis alla rejoindre ses fantômes. "
(Les jours s'en
vont, je demeure. Gallimard 2003).
* André BERNOT
(mon premier bouquiniste, Quai des Grands Augustins,
face à la Périgourdine): " ... A 17 ans je n'avais rien lu. Alors j'ai commencé à me cultiver.
Sartre, Camus tout ce qu'on lisait après guerre. Céline passait pour
un affreux jojo. Mais un jour il ne restait que Voyage
au bout de la nuit dans la bibliothèque. Je n'avais jamais rien lu
de semblable. Çà m'a cueilli à froid. J'ai prospecté systématiquement
les librairies d'occasion pour connaître toute l'œuvre.
En fait, je
suis devenu bibliophile célinien et au bout de quelques temps, à force
de recherches, je me suis trouvé à la tête de cinq à six mille livres.
Par la faute de Céline, je suis devenu bouquiniste. "
(Magazine
Littéraire, janvier 1994, de Valérie Marin La Meslée).
*
Gianluca BERTOGNA (producteur romain, Prix du public
2012 pour le film Immaturi): " J'aimerais également
faire des co-productions
avec la France où le marché est très large, notamment
avec Marion Cotillard qui me paraît l'actrice la plus
émouvante du moment. Mais le cinéma français qui est
beaucoup plus psychologique que le nôtre, est très
sélectif, il n'est pas facile de s'y faire une place.
Gianluca BERTOGNA est aussi un admirateur de
Céline : " J'ai du mal à admettre qu'un tel auteur ait
été rejeté, isolé, au point de mourir dans la pauvreté.
La lecture de ses livres apporte un enseignement
précieux en cinématographie, c'est une mine d'or pour
l'écriture de dialogues. "
(Corse-Matin, 12 février
2012, dans le Petit Célinien, 15 février 2012).
*
Philippe BILGER (avocat général près la cour d'appel
de Paris) : " On veut faire mourir Céline une seconde
fois. (...) Où est-il écrit que seul l'antisémitisme,
même poussé au paroxysme par un Céline durant les années
d'occupation, doive être le
seul
critère pour disqualifier à vie un écrivain, une
personnalité ? D'autres, qui ont honteusement justifié
le communisme et ses millions de morts - je ne dis pas
que nazisme et communisme sont exactement comparables -
et qui ont tressé des couronnes et écrit des vers en
faveur par exemple de Staline n'ont jamais connu ce type
de discrédit qui fait de l'ignominie d'un comportement
intellectuel et politique l'alpha et l'oméga de tout,
contre le talent et le génie littéraires. Pour ma part,
je n'aurais jamais eu l'idée saugrenue de me plaindre
d'une " célébration " d'Aragon ou de Sartre, quelles
qu'aient été leurs graves fautes morales dans l'éloge du
totalitarisme rouge.
(...) On en est à oublier que s'il est mort en 1961, il
n'en a pas moins connu avant des épreuves et des
souffrances, une traversée du désert où il était honni,
pour arriver au terme de sa vie, seulement soutenu par
quelques amis et admirateurs fidèles. On veut
recommencer à lui faire payer ses abjections écrites
parce qu'on ne lui pardonnerait pas de les avoir
juxtaposées à son génie sans que celui-ci en soit
atteint ? Pour ma part je continuerai à lire avec
passion Céline et même s'il avait été aussi un " parfait
salaud ", ce ne serait pas à d'autres qu'à moi d'en
décider et d'en tirer les conséquences. "
(Céline
maudit pour toujours ? in Justice au singulier,
www.philippebilger.com,
20 janvier 2011).
* Charles
BONABEL (disquaire à Clichy, ami de Céline, 1897-1970): " Etonnante
" Auto-Interview " rédigée à la demande de Lucette pour accompagner la
sortie de Rigodon: " - A certains indices de l'œuvre, il ne
semble pas que le retour à Meudon se soit réalisé dans l'euphorie ? " /
" - Oh ! non. Evidemment tout valait mieux que la banquise et la
plupart des hypothèques relevant de la justice étaient levées. Mais
vieilli, malade, meurtri, isolé et ruiné, le retour de Céline
au pays natal ne pouvait pas être une apothéose. Repartir à zéro,
médicalement et littérairement à soixante ans, c'était plutôt paradoxal.
Avec quelle pitié douloureuse ai-je accompagné
quelquefois le Docteur Destouches " aux commissions ". Sa grande
silhouette de cuirassier blessé, escorté plutôt qu'il ne le conduisait
par une sorte de dogue hiératique, impressionnait beaucoup les
fournisseurs, malgré son exquise courtoisie et leur paraissait
visiblement insolite. Ce n'est guère pour lui qu'il s'imposait cette
démarche sans grandeur, mais la petite meute de molosses qu'il avait
réunie, les chats, les oiseaux avaient des exigences journalières qu'il
ne voulait pas éluder. "
(Décembre 1969, dans le BC n°86, oct.1989).
*
Emile BRAMI
(romancier et gérant de
librairie): " Je crois être un peu méprisé, je suis l'impur, le
libraire, le marchand, celui qui se fait de l'argent avec Céline, et en
même temps, " le-juif-qui-aime-Céline ", donc pour certains un alibi
commode, ce que je refuse de toutes mes forces. " (Entretien in Le
Matricule des Anges n° 48, 2003).
* Sa position est d'autant plus malaisée
que le libraire qu'il est ne s'interdit pas de vendre des livres dont
il réprouve avec force le contenu. Ainsi dans son dernier catalogue, il
propose des éditions de Bagatelles, de l'Ecole des cadavres
ou des Beaux draps. Céline n'est d'ailleurs pas le seul auteur
dont il vend des textes sulfureux : dans son catalogue, on trouve aussi
des éditions originales de l'Amérique juive de Cousteau, La
France juive de Drumont ou Les Décombres de Rebatet. "
(B.C.
n°282, janvier 2007).
*
Marcel
BROCHARD (ami intime, Président des Studios de
Boulogne-Billancourt): " Au fond, on peut
aussi
montrer le côté moins
connu de Céline, le côté
féminin. Il était coureur ? - / A cette époque, 1920-25, nous
étions mariés tous les deux, mais enfin,
je ne voudrais pas tout de
même dire que nous étions de mauvais maris. Mais enfin, une femme ne
nous faisait pas peur, à l'aventure... Et Céline, entre ses deux femmes,
Edith et Lucette, il en a usé pas mal, dont surtout la belle Elizabeth
dont j'ai parlé tout à l'heure.
- / ... que vous avez bien connue aussi ?
- / Oui, il fallait... Louis, écrivant à sa table ses feuillets,
délaissait la belle Elizabeth. Alors, on l'emmenait prendre un verre.
Elle aimait bien boire un verre - à ce moment-là, le whisky n'existait
pas - un coup de cognac. On s'en occupait d'Elizabeth, il fallait bien
que Louis travaille. "
(Entretiens diffusés sur la seconde chaîne en
mai 1969, par Michel Polac).
*
François
BRUZZO (chercheur, enseignant, universitaire): " Les trois
points deviennent les " traverses " des rails sur lesquels le métro
célinien " absolument archicomble " fonce " au but, d'un trait ", et ils
sont ainsi les opérateurs de maintien de la grande vitesse du " récit
émotif ", son signal indubitable et indispensable qui marque et trace au regard du lecteur le mouvement
(mouvoir-émouvoir) et la torsion qu'impose la transposition au
déroulement des pages et des " stances de l'Académie " :
..." Vous reprochez pas à Van Gogh que ses
églises soient biscornues ? à Vlaminck ses chaumières foutues !... à
Bosch ses trucs sans queue ni tête ?... à Debussy de se foutre des
mesures ! à Honegger de même ! moi j'ai pas du tout les mêmes droits ?
non ? j'ai que le droit d'observer les Règles ?... les stances de
l'Académie ? c'est révoltant ! "
Céline en appellera encore à la peinture
même pour motiver le dispositif des trois points de suspension qui vont
cribler ses pages à partir de pages à partir de Mort à crédit: ... " Question des
trois points... à répondre: il est comme Sisley, c'est un
pointilliste... voyez un Sisley ce que ça vaut !... "
(Francofonia
n°22, Florence,1992, dans BC n°262 mars 2005).
* Docteur
Clément CAMUS (ancien médecin-colonel de la Légion étrangère, vieil
ami de Céline, 1883-1969): " Il aimait, du moins dans le tête-à-tête,
lui, ce péremptoire, cet énergumène, il aimait la discussion serrée
dans la conversation calme. Il était très cultivé. Il avait énormément
lu, avait beaucoup retenu et
savait beaucoup de choses, presque
sur tout. S'il disait vaine la médecine, il était demeuré biologiste.
(...) Il connaissait particulièrement l'histoire de France. Il l'avait
profondément étudiée. Sa mémoire implacable la restituait. On pouvait
l'interroger. Il était imbattable même sur les temps du sombre Moyen
Âge qu'il disait exécrer.
Quand, dans les dernières années de sa vie, ayant pris
les apparences d'un vrai vieillard, il m'accueillait toujours de son " Bonjour,
fils ! ", j'en était toujours très ému. (...) ma dernière visite à
Meudon, peu de temps avant sa mort, il tint, comme toujours à me
raccompagner au seuil de la porte de son jardin, parmi ses grands
chiens impressionnants qui effrayaient les importuns, écartaient les
voleurs, ne rassuraient guère les visiteurs même amis. Vêtu de sa
vieille houppelande rapiécée, il était illuminé par la splendeur du
beau regard tendre, un peu triste de ses yeux d'un bleu si tendre, il
me dit cet: " Au revoir, fils ! " qui devait être le dernier. Je
n'avais ni pressentiment, mais je fus bouleversé. Je le suis encore à
l'évocation de ce souvenir. "
(Cahiers de l'Herne, 1963).
* Marie
CANAVAGGIA (traductrice, secrétaire de Céline, 1896-1976): " Chère Marie, / Je
viens de recevoir vos admirables chemises, carapaces à chefs -d'œuvre !
Dieu soit loué et vous-même ! On ne me décourage pas facilement de
révolutionner la Littérature française ! Je veux avant de crever rendre
encore 100 000 crapauds des Lettres épileptiques, tétaniques - Vous
avez vu au reste que l'on veut à présent me traîner en prison " pour
contrefaçon " du Voyage. J'ai écrit à ce sujet ma façon de
penser aux Denoël Amélie - au " 16e gang miteux véreux des faux
héritiers Denoël " !
Je l'écris aussi au juge d'Instruction ! à mes juges d'Instruction ! Je
m'amuse comme je peux ! L'Humanité me promet la Mort à mon
retour en France ! Si j'ose ! à qui ne promet-on pas la mort ? mais je
ne veux pas être éventré par ces canailles ! ma coquetterie ! Je vais
l'écrire à Aragon ! Qu'il prenne des bourriques un peu moins imbéciles
! mon traducteur ! / vu hier Vinding - votre collaborateur. Je l'ai mis
dans l'état de respect et d'admiration qu'il faut, pour vos talents et
de votre personne - / Bien affectueusement / LF
(Lettre du 6 octobre
1949, Lettres 2009).
*
Charles-Antoine CARDOT (Diplômé d'Etudes supérieures
de droit romain et d'histoire du droit, de droit privé,
de sciences politiques et docteur en Droit, Maître de
conférences à la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand) :
" Le 22 juin 1957, Paris-Match consacre quatre
pages à Louis-Ferdinand Céline, " l'écrivain maudit
" qui, écrit Guillaume Hanoteau, " sort du
silence
pour raconter Sigmaringen. " Le Dr Cardot, qui
exerce toujours à Montfort, lit cet article. Il se
procure D'un château l'autre et, dès le 25 juin,
il écrit à Meudon : " Mon cher ami... Vous vous
souvenez certainement du remplacement à Montfort en ce
début d'été 1924. Ma fiancée disparue 3 jours avant le
mariage... C'est déjà loin tout cela, Edith, Feu-Follet,
dont vous vidiez périodiquement la clinique de ses
clients en les persuadant qu'ils n'avaient pas besoin
d'être là sauf pour l'aspiration tentaculaire des
piquaillons... la mère Cochard, 75 ans, qui gardait la
maison et que vous aviez surnommée " La Dactylo ".
Quelques semaines plus tard, le Dr Destouches lui
répond. Sa lettre, sur une feuille d'ordonnance, est
datée du 19 juillet, mais elle n'a été postée qu'un peu
plus tard, de Paris, et elle n'est arrivée que le 27 à
Montfort.
" - Oh que si mon cher ami je me souviens bien de ce remplacement à
Montfort et de Follet la Sagesse ! " " Et de là
", poursuit Céline - " de ces folies " - [il
a écrit d'abord " de toutes ces folies "] - "
qui m'ont mises " [sic] - en charpie, un peu
partout. Je n'ai plus jamais revu ni Edith, ni ma fille,
ni Follet, je n'ai plus vu que le Diable partout !!!
Certes je voudrais bien aller vous voir mais je suis je crois le plus
enchaîné des Français à la maison, aux nettoyage,
vaisselle, animaux... Je ne m'absente jamais même une
heure... et je le regrette amèrement... ! pélerinage aux
folies ! Votre bien amical, Destouches "
Cette correspondance ne s'est pas poursuivie. Le Dr Destouches n'est
jamais revenu à Montfort, et le Dr Cardot, mort en 1977,
n'a pas été à Meudon. "
(Céline et Montfort-sur-Meu
1918-1957, BC n° 222, juillet-août 2001).
*
Paolo CARILE
(professeur émérite de littérature française): " La fortune
littéraire de Céline en Italie est désormais chose acquise, elle est
fondée sur un intérêt à peu près constant de la critique, des éditeurs,
de la presse et d'une partie considérable des lecteurs de mon pays
depuis au moins un quart de siècle. J'en ai retracé l'historique à
trois reprises, en 1969, en 1974 et en 1976, il est donc inutile de
répéter ce que j'ai déjà exposé. Dix ans après le dernier bilan on ne
peut que confirmer que l'auteur de
Voyage
demeure l'écrivain français contemporain le plus cité dans la
presse, le plus traduit, celui dont on parle le plus souvent dans des
émissions de radio et de télévision et dont on a tiré le plus grand
nombre d'adaptations théâtrales. Céline, " personnage maudit ", " cas
littéraire ", symbole ambigu de révolte, pour différentes raisons
continue à attirer l'attention à faire parler de lui et de son œuvre.
Un écrivain
comme Céline peut constituer un cas emblématique, par la
singularité de son existence et le caractère
exceptionnel de son œuvre qui se situe au centre même
des questions que notre époque se pose, par les vives
réactions que suscitent encore certains de ses écrits
qui renvoient à la période dont, somme toute, l'Europe
actuelle a hérité bien des contradictions et des
ambiguïtés, mais dont elle a perdu (est-ce un bien ou un
mal je ne saurais le dire), la plupart des illusions,
des certitudes présumées. "
(La critique italienne, Vingt-cinq ans d'études
céliniennes 5, Pascal Fouché, Lettres Modernes Minard,
1988).
* Robert
CHAMFLEURY (éditeur de musique, parolier, pseudonyme d'Eugène Gohin,
1900-1972): " Je viens de découvrir,
un peu tardivement, dans le Petit Crapouillot de février, votre
réplique à un papier de Roger Vaillant, paru dans la Tribune des
Nations. Si j'avais eu connaissance à l'époque de cet article, je
n'aurais pas manqué de lui donner une réponse. Peut-être n'est-il pas
trop tard. Je suis pleinement d'accord avec vous quand vous affirmez
que vous étiez parfaitement au courant de nos activités
clandestines durant l'occupation allemande... Je me souviens qu'un soir
vous m'avez dit : " CHAMFLEURY, je sais à peu près tout ce que
vous faites, vous et votre femme, ne craignez rien, et même, si je puis
vous aider... !
Mieux, un jour, je suis venu frapper à votre porte,
accompagné d'un Résistant qui avait été torturé par la Gestapo. Vous
avez fait le pansement qu'il convenait, en ayant parfaitement deviné
l'origine de la blessure. Peut-être retrouverez-vous une lettre que je
vous avais fait parvenir par Gen Paul, dès la Libération. Je vous
informais de ma volonté de témoigner et d'intervenir contre les
accusations mensongères et stupides dont vous accablait une certaine
clique de petits roquets du journalisme et de la littérature acharnés à
broyer un confrère. (...) Les succès littéraires d'un Vaillant, en cette
époque de médiocrité, d'intrigues et de bluff doivent nous laisser
indifférents. Vous restez un des derniers " grands " écrivains et l'un
des derniers individualistes, en même temps qu'un homme propre et
courageux auquel je suis heureux de rendre hommage. "
(Lettre du 4
avril 1958, publiée en partie dans le Petit Crapouillot).
*
Bruno CHAOUAT (professeur associé de littérature
française moderne et contemporaine à l'Université du
Minnesota, directeur du Centre d'études de l'Holocauste
et du génocide) : " (...) Quelle différence, pourtant,
entre les rires de Céline (je ne nie pas qu'il m'ait
fait rire) et de Zarathoustra ! Entre le grand rire
affirmatif d'un Nietzsche et le rire de celui qui se
peint
en éternelle victime, en suicidé de la société...
Rapprocher ces rires me paraît une incongruité
herméneutique, un contresens. Pour le reste,
c'est-à-dire pour ce qui est de votre analyse
dialectique ou rédemptrice de la destruction comme
déconstruction , je vous aurai prévenu : je prends
Céline au pied de la lettre, au premier degré, si vous
voulez. Je lis les Entretiens comme un art
poétique. Et j'en infère ceci : que le style de Céline
signe l'arrêt de mort non seulement de la littérature
contemporaine, mais aussi, et rétrospectivement, de
toute la tradition littéraire : " Y a plus eu de
nageurs " à la brasse " une fois le crawl découvert !...
"
Le " style émotif " fossilise, momifie, rend
caduc, frappe d'inanité tout ce qui précède. Quant à
l'écrivain contemporain qui n'aurait pas pris acte de la
révolution célinienne, le voilà déjà momifié, fossilisé,
embaumé. La littérature non célinienne, non " émotive
" est pourriture. A letter, a litter (Lacan). Et
il s'agit bien, dans l'hybris narcissique de Céline, de
muer tout ce qui n'est pas lui en déchet. " Toute
écriture est de la cochonnerie ", avait déclaré
Artaud. Pour Céline, tout ce qui n'est pas mon écriture
est de la cochonnerie. Ses héritiers ne sont que de
vulgaires copistes. Ils font dans le kitsch, ou, comme
il dit, dans le " chromo ", le simulacre, la
contrefaçon. Tout se passe donc comme si Céline avait
saturé le style Céline, la manière célinienne, de façon
à interdire toute prise de relève, tout passage de
relais. De façon que personne, jamais, ne puisse se
réclamer de lui, de façon, pardonnez-moi d'y insister, à
verrouiller l'histoire de la littérature. "
(Céline,
fossoyeur des lettres ?, site internet du mouvement
Transitions, Le Petit Célinien, 21 août 2012).
*
Georges CHARPAK (physicien français né à Dabrowica,
lauréat du prix Nobel de physique en 1992, 1924-2010) :
" Je ne peux m'empêcher de penser, en voyant cette
séquence [interventions, en paroles et en musique, des
violonistes Manuel Rosenthal, Yehudi Menuhin et Patrice
Fontanarosa, lors d'émissions " Bouillon de culture "
précédentes], que si Céline l'avait vue, il l'aurait
haïe. Et justement, puisque j'ai la chance d'avoir
quelqu'un [l'acteur Fabrice Luchini, présent sur le même
plateau] qui a une grande dévotion pour Céline, [...]
j'aimerais comprendre comment on peut défendre Céline
grand écrivain - et je m'incline devant le grand
écrivain - et ne pas mettre un peu une barrière devant
l'homme, et ne pas arrêter la dévotion à l'homme qui
était abject, car il souhaitait la mort de tous les gens
que l'on voyait là en train de jouer du violon
[applaudissements dans le public, sur le plateau],
[...]
et il est intervenu pendant l'Occupation à plusieurs
reprises en protestant contre le fait qu'il les
rencontrait des fois et qu'ils n'étaient pas encore
morts. Il y a un montage, qui ressemble à une
supercherie, dans lequel on gomme le bonhomme Céline. "
(Georges Charpak, Bouillon de culture de Bernard Pivot, France 2, 29
juin 2001, in D'un lecteur l'autre, Krisis, 2019, p.
141).
*
Pierre de BONNEVILLE (créatif publicitaire,
responsable trading et ventes, marché de capitaux et
d'ingénierie financière) : " Pour beaucoup, Céline c'est
l'antisémitisme, parfois même le populisme vulgaire et
argotique, en tous cas, collabo ou clodo, c'est l'homme
par qui le scandale arrive. C'est le parfait cliché que
le plus grand nombre, toujours
simplificateur, retient du personnage " Céline ". Une
image qu'il aura lui-même façonnée avec une constance
jamais démentie. Dernièrement, à l'occasion du
cinquantenaire de sa mort, c'est bien entendu encore ce
Céline-là qui a réveillé les effervescences
polémiqueuses.
Pour d'autres, un plus petit nombre, l'écrivain
d'exception balaye en grande partie toute autre
considération et ils ne le jugent qu'en tant que génie
de la littérature du XXe siècle. Et le passage en vente
de son manuscrit number one, Voyage au bout de la
nuit, pour 1,82 millions d'euros en 2001 a recentré
le sujet " Céline " sur la " littérature " si l'on peut
dire. Avant que ne soit relancé le débat de
l'antisémitisme avec l'édition des " pamphlets " permise
au Québec alors qu'elle est encore interdite pendant
trente ans en France. Voilà Céline : auberge espagnole.
Pro ou anti ? Céline a toujours créé la polémique, et il
a toujours cherché à la créer. C'est bien Céline qui
créa Céline.
[...]
Céline se rend inacceptable et le revendique : " Plus on
est haï, je trouve, plus on est tranquille...
Ça simplifie beaucoup les
choses, c'est plus la peine d'être poli, je
ne tiens pas du tout à être aimé... Je
n'ai pas besoin de " tendresse "... C'est toujours les
pires saloperies de l'existence que j'ai entendu
soupirer après les " tendraîsses "... C'est ainsi qu'ils
se rassurent. C'est comme l'honnêteté, la probité, la
vertu... Quels sont les murs au monde qui entendent le
plus parler de ces choses-là ?... Ce sont les murs d'un
cabinet de Juge d'instruction... " (Bagatelles pour
un massacre).
(Pierre de Bonneville, Et Céline créa Céline, Ed. Improbable, 01/01/2013).
Robert DEBRE (médecin
français, fondateur de la pédiatrie moderne, père du
politique Michel Debré 1882-1978, issu d'une famille de
rabbins alsaciens) :
Sur le
Dr Destouches : « Je l’ai connu en 1925. (…) Il était
dans le service de Léon Bernard. (…) Il voulait
s’instruire dans le domaine de la tuberculose. (…) Il me
plaisait. Tout de suite on voyait que c’était un type
d’une intelligence exceptionnelle avec un bon sens de
l’humour. (…)
Pas
heureux, pas bien dans sa peau. (…) Léon Bernard lui
avait trouvé de quoi vivre dans un dispensaire. (..)
Léon Bernard l’a présenté à Ludwig Rajchman. (…) J’ai eu
des échos. Un éloge extraordinaire de lui par Rajchman
et Mme Rajchman. Souvenir très net qu’il les avait
éblouis ».
« 1932 : revu plus tard car il m’a apporté et dédicacé un Voyage en
souvenir de cette époque (1925) »
(Témoignage oral auprès d’Alméras, Dictionnaire, p. 246).
(Fourni par Eric Mazet, 9/12/2020).
*
Nicole DEBRIE
(psychanalyste, ethnologue,
essayiste et poète, 1928-2020) : " L'opposition apparaît dans
leur correspondance. Au messianisme marxiste d'Elie Faure, Céline
répond : " Le malheur en tout ceci c'est qu'il n'y a pas de " peuple " au sens touchant où vous
l'entendez, il n'y a que des exploiteurs et des exploités et chaque exploité ne demande
qu'à devenir exploiteur ".
Ce qui
transparaît dans Bagatelles pour un massacre et dont la source
est une fois de plus négligée par Madame A.Y. Kaplan : " L'hypocrisie
puante de tout cet immense racolage sentimentalo-maçonnique, de cet
infernal babillage à la fraternité des classes constitue bien la farce
la plus dégueulasse de ce dernier siècle. "
(Quand la mort est en
colère. L'enjeu esthétique des pamphlets céliniens, juin 1997).
*
Pierre-Gilles de GENNES (prix Nobel de
Physique): " Je ne suis pas preneur de littérature théorique ( le
nouveau roman et tout ça). J'ai exactement la même attitude vis-à-vis
des sciences. Il ne faut pas partir de principes ! Il faut partir de
quelque chose qu'on a dans les tripes ! Prenez Céline: pour moi il
représente la réunion des deux facteurs : un
style nouveau ( ce qu'il appelait lui-même des " trucs " ) et le
sentiment profond du désespoir. "
(B.C. juin 1992).
* Eric
DELCROIX (avocat, essayiste): " On ne parlera pas davantage du Manifeste
libertin d'Eric DELCROIX. Présenté comme un " essai
révolutionnaire contre l'ordre moral antiraciste ", il dérange tout autant.
Le mot libertin doit se comprendre dans le sens qu'on lui donnait au
XVIIIe siècle : un esprit fort qui se refuse à entretenir et à
justifier la dévotion régnante.
L'auteur considère Céline comme un authentique
rebelle qui ne plie pas le genou devant les idoles et les diktats de
l'époque. Le mot race a été diabolisé de telle manière que Céline est
aujourd'hui un écrivain maudit. Pour DELCROIX, qui le considère
comme un prophète libertin, il est temps de mettre un terme à ce qu'il
nomme la " raciopudibonderie suicidaire ". On aura compris
qu'il n'est pas sur la même longueur d'ondes que ceux qui voient en
Céline un très grand écrivain, méritant assurément d'être pléiadisé,
mais dont toutes les vues extra-littéraires sont à mettre au rebut. "
(Manifeste
libertin, Ed. l'Aencre, Paris, 2005, dans BC n°264,mai 2005).
* Robert DENOEL
(éditeur français d'origine belge, 1902-1945) : " Pauvre DENOEL
son Renaudot ! nous
deux si misérables alors déjà... et puis ce Goncourt truqué
escamoté... et puis l'essor et puis cette espèce de gloire si menacée si
périlleuse si méchante si précaire déjà toute
pétrie de venins de haines et puis l'issue... ce bas crime... tout de
même bien douteux...
"
(Lettre à Marie
Canavaggia, 12 décembre 1945).
*
Colette
DESTOUCHES (fille unique de Céline
et d'Edith Follet, 1920-2011) : " - On lui avait promis le
Goncourt. C'est Guy Mazeline, un auteur Gallimard, qui a reçu le prix
pour Les loups. Les biographes ont donné
plusieurs versions de
l'attitude de Céline ce jour-là.
- " Ce qui est amusant, c'est
qu'en dehors de François Gibault aucun de ces biographes, que je suppose pourtant soucieux de
précision, n'est venu me voir... Le dernier en date me fait passer des
vacances avec mon père à Dinard, alors que nous étions avec Elizabeth à
Saint-Jean-de-Luz ! Le jour où mon père a " manqué " le Goncourt pour le Voyage,
j'étais avec lui et ma grand-mère à faire le pied de grue devant chez Drouant, dans l'encoignure d'une porte.
Je tenais dans la main un grelot en nacre avec
une boule en argent, provenant d'un berceau, quelque chose pour amuser
les bébés, et que mon père, dès l'enfance, avait pris comme fétiche.
Dans les occasions importantes, il le fourrait toujours dans sa poche.
Quand on a donné le nom de Mazeline, mon père a jeté le grelot dans le
caniveau. C'est moi qui l'ai récupéré. J'en ai fait cadeau à l'un de
mes fils. "
(interview à Paris-Match, le 31 mars
1994).
*
Philippe DI MARIA (écrivain, musicien, guitariste,
professeur de musique) : " Céline a désinfecté, en se
transperçant lui-même avec un stylet incandescent,
l'abcès purulent du corps social, humain et littéraire
de son époque, provoquant ainsi, peut-être plus que par
son antisémitisme forcené, toutes les haines
incoercibles qu'il s'est attiré.
Il mit en application, avec
cinquante ans d'avance, la magnifique et capitale
formule de Philippe Muray : la littérature doit
servir à nous dégoûter d'un monde que l'on n'arrête pas
de nous présenter comme formidablement désirable. "
(Digressions jetées en l'air et retombées
éparses... Spécial Céline n° 18, été 2015).
*
Jean-André DUCOURNEAU (maître d'œuvre éditeur chez
Gallimard, 1919-1975) : " Nimier annonce à Céline que la
fabrication est en route et que le maître d'œuvre sera
un certain Jean-André DUCOURNEAU, nouvellement
engagé par la maison (Gallimard), " balzacien et
sérieux ". Céline aura, en effet, à apprécier la
rigueur et la précision de ce jeune quadragénaire que
Lucette surnommera " le minutieux ". Durant l'été
1960, DUCOURNEAU rencontra Céline à plusieurs
reprises pour l'établissement définitif du
texte. Mais
aussi pour la rédaction d'une version moins provocante
des passages les plus scabreux de Mort à crédit,
de manière à permettre de donner un texte continu.
Rappelons que dans toutes les éditions de ce roman
vendues en
librairie, ces passages étaient demeurés censurés depuis
1936. Céline accepta donc de les récrire. On est alors
en septembre 1960.
Dans l'édition
Balland (1966), J.A. DUCOURNEAU a livré un
témoignage unique sur ce travail : " Mort à crédit
nous posait un problème délicat : celui des phrases
supprimées dans l'édition Denoël pour les scènes des
débats amoureux de Mme Gorloge et, un peu plus loin,
pour celles du dortoir au " Meanwell College ". Nous
l'avions déjà dit : à la lecture de ce qui subsistait de
ces descriptions, on pouvait se demander ce qui avait
bien pu être supprimé. Et le sachant, nous avons demandé
à Céline de combler ces vides hypocrites. Nous
estimions, en effet, que le texte publié dans la Pléiade
devait être un texte intégral. Ce n'est pas sans émotion
que nous évoquons le souvenir de ces séances de travail
émaillées de bavardage littéraire. Céline avait une très
grande admiration pour l'auteur de La Comédie humaine,
il fut souvent question de Balzac au cours de nos
conversations. Désireux d'éloigner de lui toute source
d'ennuis nouveaux, Céline, sagement, récrivit donc les
passages censurés, en employant d'autres mots que ceux
mis dans son manuscrit originel. Pour lui, c'était "
rendre aimable un méchant livre ". Ainsi, le texte
publié dans la Pléiade contenait une version nouvelle
pour ces passages.
De son côté, Céline
a immortalisé DUCOURNEAU dans les dernières pages
de Rigodon : " Lui, c'est du sérieux... il vient
pas pour rien... tout de suite nous tombons d'accord...
ah, encore quelques petits doutes... ça y est !... à
peine un accent... une virgule... (...) DUCOURNEAU
est " balzacien ", mais pas qu'un peu en "
dilettante " !... non !... très sérieux !... " Dans
ce passage, Céline évoque cette édition " à paraître
vers la fin de l'année ". Il n'en sera pas ainsi et
Céline ne sera pas " pléiadeux vivant. "
(Céline dans la Pléiade, Marc Laudelout, BC n°136, janv.
1994).
*
Philippe DULAC (agrégé de lettres modernes, ancien
élève de l'Ecole normale supérieure) : " Vingt ans après
sa mort, Céline semble toujours davantage polariser
l'intérêt de la critique et du public. Chacun tend à le
considérer aujourd'hui comme le plus marquant et le plus
décisif, avec Proust, des romanciers français de notre
siècle, parce qu'il a su allier l'acuité de sa
conscience et du témoignage historique à celle d'une
recherche et d'une réflexion esthétiques.
Parce qu'il a réussi à être à la fois, comme l'on disait
jadis, " témoin de son temps " - un temps qui, au fond,
est et demeure le nôtre - et prophète, au point de vue
littéraire, de ce que nous appelons un peu
orgueilleusement modernité. "
(La Nouvelle Revue Française, 1er février 1982).
*
Raphaël ENTHOVEN
(enseignant de philosophie,
animateur de radio et de télévision) : Proust ou Céline
? " Les deux ! Résolument, dirait Proust. Enormément,
dit Céline. Peu m'importe que Céline se soit lui-même
représenté son travail comme l'antithèse de Proust ( "
300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule
Tatav, c'est trop ", écrit-il dans une lettre à Milton
Hindus du 11 juin 1947). Ecoutez ce qu'il en dit dans le
Voyage... :
" Proust, mi-revenant lui-même, s'est perdu avec une extraordinaire
ténacité dans l'infinie, la diluante futilité des rites
et démarches qui s'entortillent autour des gens du
monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards
indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans
entrain d'improbables Cythères. "
C'est la phrase d'un authentique lecteur, et admiratif ! En réalité,
Proust est omniprésent dans le Voyage. Céline
écrit aussi :
" La grande défaite, en tout, c'est d'oublier, et surtout ce qui vous a
fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusqu'à
quel point les hommes sont vaches. Quand on sera au bord
du trou, faudra pas faire les malins, nous autres, mais
faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans
changer un mot de ce qu'on a vu de plus vicieux chez les
hommes et puis poser sa chique et puis descendre.
Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière.
" Quel programme est plus proustien que celui-là ?
Et,
quand on entre dans les détails, c'est encore mieux. La
séquence où Bardamu court les rues avec Lola à la
recherche d'une pharmacie dont les thermomètres auraient
la gentillesse de ne pas indiquer qu'elle a pris deux
kilos est presque un pastiche du passage où Proust
décrit l'insolente " salamandre d'argent " (le
thermomètre) qui, immanquablement, quoi qu'on lui
demande, indique que la fièvre de sa grand-mère ne
diminue pas.
Le sosie d'Albertine endormie (vivante et chaude à jamais) est à trouver à
la fin du Voyage au bout de la nuit, dans le
spectacle de la jeune Sophie dont Bardamu détaille les
courbes à son insu quand elle dort, et dont il dit
qu'elle " s'explique avec le sommeil " et que " c'est
bien agréable de toucher ce moment où la matière devient
la vie ". De même : " J'étais devenu du feu et du bruit
moi-même ", dit Bardamu sur le champ de bataille. "
J'étais moi-même devenu le sujet de mon propre livre ",
écrit Marcel, depuis son lit.
Ne soyons pas dupes des lieux. L'ambition est la même. Incorporer le
monde entier, au risque de s'y perdre. Bref, dans la vie
comme en littérature, on a grand tort d'opposer le
Voyage et la Recherche. "
(Le Point, 25 mars 2018, lepoint.fr/livres).
*
Cécile -Albin
FAIVRE
(docteur en philosophie de la Sorbonne,
traductrice, directeur d'un site qu'elle appelle JICO,
(Journal Intime à Ciel Ouvert) où elle retrace dans "
Les Roses de décembre " son pèlerinage, accompagnée de
son mari, sur les traces de Céline au Danemark.
Passionnant d'une passionnée.
*
Rémi FERLAND
(enseignant en grammaire et en
littérature en Université, directeur des Editions
Huit au Québec) : " A l'été 2017, je découvris
Louis-Ferdinand Céline et en particulier ses fameux
pamphlets, alors quasi introuvables et marqués du sceau
de l'infamie qui les rendait plus intrigants encore. Dès
janvier 2008, voyant que tout son œuvre
deviendrait libre de droit ici quatre ans plus tard, je
conçus le projet de rééditer ces textes, afin de combler
ce qui me semblait une grave lacune dans la
connaissance de l'auteur.
Le corpus une fois saisi et mis en page, j'entrepris la recherche
nécessaire aux notes explicatives. Contrairement au XIXe
siècle québécois, la période historique et littéraire à
laquelle font référence les pamphlets ne m'était pas
familière et j'avançais laborieusement. Durant un séjour
à Paris à l'automne 2010, j'eus la chance inouïe de
faire connaissance d'un célinien émérite, Jean Castiglia,
bouquiniste sur les quais, qui avait collaboré à
l'édition de Céline dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Cette rencontre fut plus qu'une bonne fortune, plutôt
une grâce, dans la mesure où l'amitié qui s'ensuivit se
révéla pour moi providentielle.
Jean Castiglia me mit en relation avec un spécialiste de
Céline et professeur de littérature du XXe siècle à
l'Université de Nantes, Régis Tettamanzi, qui avait
publié une étude sur les pamphlets, Esthétique de
l'outrance, sa thèse de doctorat, laquelle
constituait, à proprement parler, l'appareil critique
complet d'une édition critique encore à venir. Nous nous
entendîmes tout de suite en perfection et cette
collaboration marqua là aussi le début d'une amitié
précieuse.
Les Ecrits polémiques de Louis-Ferdinand Céline parurent à
l'automne de 2012 et connurent un succès considérable
auquel au vrai, je ne m'attendais pas. J'avais publié
cet ouvrage à 400 exemplaires, estimant qu'il s'agissait
d'un titre comme un autre dans la collection Anciens,
mais dus bientôt procéder à des retirages successifs.
L'aventure célinienne, à laquelle le parcours de ma maison d'édition ne
me destinait pas, se poursuivit toujours
imprévisiblement et depuis, quatre autres titres en lien
avec cet auteur se sont ajoutés. "
(Lettre it be, L'actualité des Livres, 19 février 2018).
* Henri
FILIPACCHI (éditeur, créateur du Livre de poche,
1900-1961): " Cher Monsieur, / Mes ennemis et jaloux étant parfaitement
parvenus à faire chasser mes livres de toutes les librairies, plus
qu'aucun autre écrivain, je crois, j'ai à me féliciter d'être
/ enfin / lu dans vos " livres de poche ". / Enfin ! / Avec mes
sentiments très distingués. / LF Céline." (Lettre du 7 mars 58
envoyée lors de la parution de Mort à crédit dans le Livre de poche).
Il est piquant de la rapprocher d'avec la
correspondance envoyée à Pierre Monnier en date du 20 août 49 relative
à la vente ambulante de livres: " Le dernier de ces novateurs est PHILIPAQUI
(sic) smyrnote canaille et actuellement directeur de la
vente chez Hachette. Il parcourait la France avec le bibliobus autobus
à livres de village en village. Hachette en fut très emmerdé, si bien
qu'il lui offrit un poste chez lui, de royaux appointements ! Ce PHILIPAQUI
joue les caïds. Il possédait et possède sans doute encore la maison
Denoël qu'il tenait par les messageries, traites, avances, etc. comme
il tient d'ailleurs la NRF (en perpétuel déficit) plume au chapeau du
trust Hachette goncourts automatiques, etc) "
(BC n°8, août 1983).
* Sigmund
FREUD (médecin juif viennois fondateur de la psychanalyse,
1856-1939): " J'ai entrepris de lire le livre de Céline et en suis à la
moitié. Je n'ai pas de goût pour cette peinture de la misère, pour la description
de l'absurdité et du vide de notre vie actuelle, qui ne s'appuierait
pas sur un arrière-plan artistique ou philosophique. Je demande autre
chose à l'art que du réalisme. "
[Extrait d'une lettre du psychanalyste où il est question du
Voyage au bout de la nuit, parue dans un texte de Philippe Muray
sur " Céline et FREUD "] -
(L'Infini n°17, hiver 1987, dans
le BC n°58, juin 1987).
*
Antoine GALLIMARD
(éditeur, patron d'entreprise, président des éditions
Gallimard, petit-fils de Gaston Gallimard) : " Vous
avez, par un communiqué AFP du 11 janvier 2018 suspendu
sine die ce projet. Les médias ont parlé de renoncement.
- Oui, j'ai suspendu ce projet, mais je n'y ai pas renoncé. La raison de
cette suspension est simple : on ne construit rien de
valable dans un incendie, on ne peut pas se faire
entendre dans un amphithéâtre en ébullition. Chaque
parole nouvelle ajoute au malentendu. Et la qualité du
débat s'effondre, de pseudo-arguments en
pseudo-arguments lesquels font bientôt place aux menaces
et aux propos diffamatoires.
C'est ainsi qu'on
maltraite vraiment l'Histoire. J'ai donc décidé
d'ajourner, c'est-à-dire de nous laisser du temps pour
réfléchir, débattre, trouver une voie. Une de mes pistes
de réflexion, est d'associer ma maison à un institut de
recherche - pour marquer mieux encore le sens de notre
démarche historienne et pédagogique.
(Lejdd.fr, Culture, livres, 3 mars 2018).
*
Gaston GALLIMARD
(éditeur, fondateur
des Editions du même nom, 1881-1975) : " Gaston voulait que j'essaye de
rompre le silence qui m'a fait tant de tort, sortir de mon effacement
pour faire reconnaître mon génie... Il ne me connaît pas bien, Gaston
! Il est mécène, Gaston , c'est entendu, mais il est
commerçant aussi, Gaston, et il voulait que ma nouvelle salade
se vende bien.
Il voulait que je passe à la radio toutes affaires
cessantes que j'aille y bafouiller, n'importe quoi, y faire bien épeler
mon nom, que sitôt sorti du micro je me fasse filmer, en détail, filmer
mon enfance, ma puberté, mon âge mûr, mes moindres petits
avatars... pourquoi pas télévisionner aussi le Ferdinand ? (Interview
avec A.Brissaud, cahiers Céline 1).
* Isabelle GALLIMARD (petite-fille de
Gaston Gallimard, responsable du service audio-visuel
aux éditions du même nom) : " Elle révèle qu'elle a
vendu aux Anglais les droits d'adaptation
cinématographique de " Nord " et " D'un
château l'autre ".
Espérons que ce projet ne connaîtra pas le même
sort que celui de Remo Forlani qui avait également conçu
le projet d'adapter " D'un château l'autre " pour
le grand écran. "
(interview accordée au Figaro, 28
avril 1986, dans BC n°46, juin 1986).
* François GARAÏ (rabbin de la
communauté libérale de Genève) : " Devant cette liberté,
lire ou ne pas lire Céline, j'ai choisi de ne pas le
lire. Je doute qu'il me soit possible de me délecter
d'une littérature - si pleine de qualités esthétiques
soit-elle - venant d'un homme qui a professé durant la
guerre les opinions que vous savez. Cela fait partie de
la réalité humaine qu'un même individu soit capable de
concevoir une œuvre esthétique de valeur tout en ayant
les opinions qui furent celles de Céline.
Qui d'ailleurs vient d'être traduit avec fracas en
Israël. Je comprends que des gens ne veuillent pas se
couper d'une œuvre reconnue. D'ailleurs on n'a pas le
droit de faire taire un écrivain, même Céline. Si je le
lirai un jour ? Rien n'est définitif dans la vie, sauf
la mort. "
(Construire, 10août 1994, in D'un lecteur l'autre, Krisis, 2019, p.
142).
* Joseph GARCIN
(gérant
d'établissement, proche du milieu, 1894-1962) : " Mon cher Garcin,
/ Mais vous êtes
bien mieux à Londres, ici c'est l'hystérie collective, voilà le
fascisme en route, on attend l'homme à poigne avec ou sans moustaches.
Les Français sont masochistes. Progrès ? où quand ? je ne vois qu'une
vieille nation ratatinée. (...) La France est est une vieille femelle
qui se vide comme en Afrique ces femmes dont les règles durent trois
semaines. C'est la répugnante hémorragie.
Et
ces projets ? Vous êtes dans la rigolade, bravo, il faut bien jouir.
Ici, outre les heures dispensaire, j'avance péniblement le livre, je ne
sais pas où je vais. Ecrivez-moi, divertissez-moi. Bien affectueusement
/ Destouches. "
(Lettres 2009, le 15 février 1934).
* François GIBAULT :
" Bien sûr, aujourd'hui, avec cinquante ans de recul, connaissant ce
qui s'est passé, et surtout comment les choses se sont terminées, la
tête farcie de livres écrits surtout par les vainqueurs, on peut
s'interroger tranquillement:
" Mais qu'avait donc ce type à jouer les
redresseurs de torts, ce petit médecin de banlieue à vouloir toujours
refaire le monde, avec le verbe comme seul outil, à s'attaquer avec sa
plume aux colonnes du Temple, de tous les Temples ? Qu'avait donc ce
pot de terre à jouer les Matamore ? "
*
Pierre GIRESSE (professeur émérite de géologie, a
fait une partie de sa carrière à Brazzaville, le hasard
l'a conduit sur les lieux où vécut Louis Destouches (Bikobimbo,
Dipikar)
qu'il décrit dans son livre Céline en Afrique) :
" La petite factorerie de Bikobimbo était un poste
forestier avancé de la traite du caoutchouc extrait de
lianes forestières, c'est-à-dire non cultivées, qui
avait été créé par la colonisation allemande. Faute de
ressource, la traite de l'ivoire y jouait un rôle de
plus en plus restreint. La culture du cacao était
développée dans une parcelle adjacente de l'île de
Dipikar où étaient réalisés sur place le grillage et le
stockage des fèves.
Dans
un second temps Louis a résidé dans cette île juste à
côté d'un village de populations Fang (Pahouins) qui
fournissait toute la main d'œuvre nécessaire (peut-être
jusqu'à un millier de personnes). Les Fang n'ont jamais
été une population nomade au sens itinérant habituel que
l'on attribue à ce terme, mais ils déplaçaient
couramment leurs villages en fonction des opportunités
de la culture de proximité, de la chasse ou de la guerre
avec les voisins ; la plantation allemande ici leur a
fourni une excellente opportunité de relative
sédentarité. "
(Pierre Giresse, Céline en Afrique, Du Lérot éditeur, janvier 2019, p.
15).
*
Henri GODARD : " Dans
cette partie - (Féerie pour une autre fois, version primitive) - on
découvre la suite, c'est-à-dire la matinée qui
suit le bombardement évoqué dans Normance. Céline sait désormais qu'il
doit fuir. Portant sous le bras un paquet de manuscrits
qu'il veut mettre en sûreté, il parcourt une dernière fois Montmartre à
la recherche de son ami-ennemi le peintre " Jules " et, chemin faisant,
il rencontre l'un après l'autre tous ses amis de la Butte : Marcel Aymé,
le chanteur Max Revol, le dessinateur Ralph Soupault, le maire de la
Commune libre, un aquarelliste, un passionné d'images de la Belle
Epoque, etc... "
(Maudits soupirs pour une autre fois, octobre 1985).
* Jean
GROENEN (avocat, puis sculpteur belge): " A Anvers, dans la grande
salle de la cour d'assises, Me Jean GROENEN a fait l'éloge de
Louis-Ferdinand Céline. Choix téméraire, fit remarquer le bâtonnier
Albert Dierijck. Il en fallait, en effet, de la témérité, pour
réhabiliter devant un parterre de magistrats, de consuls, d'officiers
supérieurs et de bâtonniers, le grand pourfendeur des " bourgeois
trouillards ", des " cocorico d'état-major ", des " élites du
foie gras " que fut Céline.
Me
Jean GROENEN avait fort bien mis au point
son petit jeu de massacre. Grand admirateur de Céline, il était
évidemment à bonne école ! S'il n'hésita pas à se montrer partisan,
l'orateur ne manqua cependant ni d'esprit, ni de bon sens. - On
reproche à Céline d'avoir célébré l'amitié franco-allemande, en 1937,
dit Me GROENEN ; or, si Céline avait écrit ses fameux pamphlets
vingt ans plus tard, de Gaulle, partant pour Bonn, en aurait peut-être
fait son Malraux de service... La formule était jolie et elle fit
mouche. Même le consul de France rit de bon cœur. Dans la salle,
quelques dames tressaillirent lorsque Me GROENEN donna
lecture de certains passages de Céline: " L'amour, c'est l'infini mis
à la portée des caniches ", etc... Langage inhabituel en pareille
circonstance, mais qui fut, néanmoins, très longuement applaudi. "
(Hebdomadaire
Pourquoi Pas? , 23 nov. 1962, dans BC n°291, nov.2007)
*
Gerhard HELLER (éditeur, traducteur allemand
1909-1982) : " J'ai rencontré une dernière fois Céline
lors de mon passage à Sigmaringen, en février 1945. Il
logeait avec sa femme Lili et son chat Bébert dans une
petite chambre de l'auberge Zum Löwen. Il
rouspétait contre tout le monde : Pétain, Laval, le
personnel de Vichy ou les collaborateurs parisiens qui
se
trouvaient là, les Anglais, les juifs, les Allemands.
Tous en prennent pour leur grade, dans ce livre où il
raconte son séjour à Sigmaringen : D'un château
l'autre.
Avec moi, il fut très gentil et il me dit, à propos de cette paralysie qui
me prenait aux bras et aux jambes : " Tu auras des
ennuis avec ça toute ta vie. Je suis dans
l'impossibilité de te donner un médicament, ici, dans
mon cabinet de soins, je n'ai que de la teinture d'iode.
" Il n'avait plus aucune illusion sur l'avenir de
l'Allemagne, il n'espérait qu'une chose : quitter ce
pays et gagner le Danemark.
C'est avec Le Vigan, Bébert et Lili qu'il fit ce voyage,
ne regagnant la France qu'en 1951, après qu'il eut été
amnistié par sa condamnation à l'indignité nationale en
1950. Il avait mis son génie au service des idées
racistes et totalitaires ; par cette perversion de ses
dons littéraires, il est responsable de ce que son nom
reste associé aux pires atrocités du XXe siècle.
Cependant, sa création hallucinante d'un monde dominé
par les forces destructrices de la mort et de la folie,
son style révolutionnaire, en complète rupture avec des
siècles de beau langage, sa prodigieuse invention
verbale font de lui, avec Rabelais et Victor Hugo, un
des géants de la littérature française. "
(Gerhard Heller, Un Allemand à Paris, 1940-1944, Le Seuil, 1981,
p.153).
*
René HERON de VILLEFOSSE (historien, conservateur de
musée, 1903-1985, avait rencontré Céline en 36 chez H.
Mahé, était allé le voir au Danemark) : " Jamais Céline n'a été hitlérien.
Il était si l'on veut seul contre tous, ayant horreur
des partis, un anarchiste au cœur
d'or et à l'expression féroce.
(...)
C'est un Celte rêveur et farouche avec un fond de
poésie. "
(Ph. Alméras, Dictionnaire Céline, 13
février 1969, Spécial Céline n°8, E. Mazet).
* Milton HINDUS
(professeur de
littérature juif américain, 1916-1998): " Cher Hindus, / (...) Tous ces
admirables auteurs jouent pas assez près du nerf à mon
sens... en un mot je hais la prose... Je suis poète et musicien raté - C'est le message
direct au système nerveux, qui m'intéresse... le babillage m'assomme.
Vive Aristide Bruant,
Villon, Shakespeare, Joachim du Bellay, Barbusse (du Feu)
HORREUR de ce qui explique... Proust
explique beaucoup pour mon goût, 300 pages pour nous faire comprendre
que Tutur encule Tatave c'est trop.
(...) Je ne
renie pas Sartre certes, ni Camus, ni Millner - pour tout le bien
qu'ils me veulent je dois confesser cependant que je trouvais Paul
Morand de l'autre après-guerre, dans le genre, d'Ouvert la nuit,
plus savoureux, plus costaud, bien mieux armé. Toute la différence du
mousseux au champagne - de la masturbation laborieuse à la giclée
franche. Il ne faut pas oublier que Paul Morand est le
premier de nos écrivains qui ait jazzé la langue française. /
LF Céline. "
(Lettres 2009, à Milton Hindus,
le 14 juin 1947).
* Jacques ISORNI
(avocat, écrivain, défenseur du Maréchal Pétain, 1911-1995): " Cher
Maître, / Votre admirable livre sur le procès Brasillach nous confirme
une bonne vérité que nous connaissons déjà depuis les
Grecs: qu'il n'y a pas de justice
ni de vérité politique. (...) Du moment où les " Libérateurs " ne fusillaient pas dans l'instant tous les
parlementaires de l'Assemblée nationale qui ont institué Pétain à Bordeaux, ils n'intentaient plus que des procès de
sorcières à des comparses, à des lampistes, y compris Pétain.
On ne joue plus
qu'une obscène comédie de justice. On décide seulement de payer à
Populo des piscines de sang. Alors qu'on l'avoue ! Qu'on le hurle. Les
Aztèques de Guatimozin avaient moins d'hypocrisie ! Cortez l'atroce a
mis fin à tout cela. Quel sera notre Cortez ? Je vous le donne en
mille, cher Maître ! / Votre bien sincère et très déférent. / L.F.
Céline. "
(Lettres 2009, à Jacques Isorni, Copenhague le 10 août
1947).
*
Docteur André JACQUOT (ancien médecin de la
coloniale, exerça à Sigmaringen avec Céline) : " Tout à
fait par hasard, j'ai exercé la médecine avec lui.
C'était un
esprit curieux de tout,
lisant énormément, s'intéressant aux problèmes les plus
complexes comme aux choses les plus banales. Il aimait
s'entretenir avec les gens les plus simples et il les
écoutait avec patience et attention. Servi par une
prodigieuse mémoire, il possédait une érudition
extraordinaire qui lui permettait de traiter avec
compétence n'importe quel sujet... Malgré la vigueur de
ses écrits, il s'est toujours défendu d'être un
doctrinaire, encore moins un chef de file...
La
seule création originale qu'il revendiquait avec
véhémence parfois, c'était son style si particulier...
Par ailleurs, sa règle de vie était : ne rien devoir à
personne. Son esprit d'indépendance était poussé à tel
point qu'il n'accepta aucune aide matérielle dans ses
moments de grande détresse... Il avait horreur de
l'embrigadement et détestait l'esprit de système... Avec
cela, il était un confrère excellent, sans prétention,
ignorant la jalousie. "
(BC n°230, avril 2002).
* Alain
JAKUBOWICZ (avocat, ancien directeur de la LICRA) :
" La LICRA avait porté plainte contre Alain Soral, quand
il a republié " Le Salut par les Juifs ", de Léon Bloy,
ou " la France juive ", d'Edouard Drumont. On a obtenu
gain de cause, et des passages entiers ont été censurés.
Pour les pamphlets
de Céline, c'est différent. La réédition n'est pas faite
à but de propagande... Je ne suis donc pas pour une
censure. Mais j'espère que Gallimard a bien conscience
qu'ils ont de la dynamite dans les mains... "
(BibliObs, 8 janvier 2018).
*
Bente JOHANSEN-KARILD (est une jeune fille danoise
de 18 ans, en 1945, lorsqu'elle rencontre Céline et sa
femme Lucette exilés à Copenhague. C'est la fille d'Ella
Johansen , amie de Karen Marie Jensen, danseuse, à qui
Céline confie son or
avant-guerre) : " La propension qu'avait Céline de
blesser et de dire du mal des gens, ma mère et moi, nous
en avions déjà eu un avant-goût en 1945. J'ai retrouvé
dans mes papiers une lettre que j'ai adressée à Céline
cette année-là. Je l'avais écrite en anglais pour
n'avoir pas à maltraiter la langue française. Elle
montre à quel point Céline a blessé une sensible jeune
fille de 18 ans en la dénigrant auprès de sa mère.
J'étais " une petite bécasse qui ne ferait jamais rien
de bon , ni dans le domaine de la danse, ni dans un
autre métier ". Et dire que c'était Céline lui-même qui
m'avait encouragée à devenir danseuse professionnelle !
Mes parents, eux, ne le souhaitaient pas. Ils pensaient
que, grâce à mes études de langues, je pourrais par la
suite travailler à une ambassade.
Dans ma lettre, je disais aussi : " Je n'ai jamais
rencontré un homme aussi intelligent que vous. Je me
sens très " petite ". Je vous demande de me conseiller.
Dois-je abandonner la danse ? ", pour conclure ainsi : "
Je reconnais combien je suis jeune et sans expérience.
Apparemment, les gens ne pensent pas ce qu'ils vous
disent ". Je me souviens nettement que Céline me rendit
ma lettre sans un mot, mais avec un petit sourire. Ma
mère ne s'en émut pas outre mesure. C'était simplement,
pour elle, les " nerfs " de Céline, et tout reprit comme
avant, ce que prouve ma lettre du 28 mars 1947. "
(Une
petite bécasse, par Bente Johansen-Karild, le Petit
Célinien, 6 février 2012).
* Beate KLARSFELD: Pour ou contre la
réédition des pamphlets ?... " Contre. Céline a écrit, avec talent, de grands livres, les uns ne sont pas
antisémites. Quelques uns le sont. Je suis pour l'interdiction de ces derniers ".
(BC, novembre 1984).
* Serge
KLARSFELD (avocat) : " A part Pétain, il y a d'autres cas
douloureux et ambigus de personnages suscitant à la fois l'admiration
et l'opprobre, comme Céline. On gère ça en publiant les œuvres
majeures et non les pamphlets. La condamnation morale du
régime de Vichy s'accentue. Le temps est donc
notre allié. "
(Le Figaro, 9 novembre 1993).
* " Si je prends au
hasard dans le Mémorial des Juifs de France n'importe
quel nom, c'est un destin bien plus tragique que celui
de Céline. Il s'en est bien tiré et des millions de
victimes de sa passion s'en sont moins bien tirés. "
(Le Procès Céline, film d'Antoine de Meaux, Ed. Arte, 2011).
*
Marc LAUDELOUT
(éditeur
du Bulletin célinien) : " Le moralisme appliqué à tel ou tel écrivain,
ne reflète que les opinions de X ou Y, et n'a finalement pas
d'importance. Au-delà des polémiques sur Céline, il importe de répéter
que c'est l'un des plus grands écrivains du siècle. Son œuvre est considérable et ce n'est assurément pas à tort qu'elle
figure dans la Pléiade ni
qu'elle est traduite dans le monde entier.
Dans cent ans, elle passionnera encore de nouvelles générations qui
auront bien oublié les
attaques dont Céline fait aujourd'hui l'objet. "
(Le
Flambeau littéraire, Paris, octobre 1997).
* ... Car on ne
comprend rien à Céline si on n'a pas à l'esprit que son
antisémitisme est multiple et polyforme. Epousant les enjeux
du temps, son fondement originel est aujourd'hui mal perçu.
Tout repose pourtant au départ sur une révolte esthétique et
une volonté résolue d'exalter l'âme du peuple dont il est
issu ( " L'art n'est que Race et Patrie ! Voici le roc où
construire ! Roc et nuages en vérité, paysage d'âme " )
Dans son livre, Zagdanski enchaîne des évidences dont le
seul énoncé est à présent explosif. Ainsi, le simple fait
d'écrire que Bagatelles pour un massacre est d'une
irrépressible drôlerie suffit à faire tiquer les cagots de
Globe. Affirmer que ce pamphlet, loin d'être un livre
de haine, constitue au contraire un cri d'amour, un combat
passionné, une défense de l'authentique face au fabriqué, du
vrai face au faux, est tout simplement intolérable. Le titre
même du livre est, on le sait, généralement pris à
contresens.
Rien de bien neuf
pourtant. Deux ans après la mort de Céline, dans une
monographie aujourd'hui épuisée, un de nos compatriotes
l'avait déjà relevé : " Il est dommage qu'on ait frappé
d'interdit Bagatelles. Ce n'est qu'accessoirement un
pamphlet antisémite (...) C'est d'abord un manifeste
littéraire. " Le constat fait maintenant figure de
provocation gratuite. Mystique littéraire et racisme d'âme
provoquent un mélange détonant. "
(Stéphane Zagdanski,
Céline seul, Gallimard, dans le BC n°128, mai 1993).
* James LAUGHLIN
(éditeur de livres
littéraires, poète 1914-1997): " Cher Monsieur Céline - / C'était pour
moi un grand plaisir de recevoir votre lettre et de savoir que vous
êtes sorti de prison. J'espère que bientôt on vous laissera partir de
l' Europe, ou bien vivre tranquillement sans inquiétudes là-bas. On a
fait ici des efforts pour influencer les Danois à être raisonnables.
Mon avocat, Julien Cornell, a préparé une pétition et on l'a circulé parmi des
hommes de lettres connus. Mais il faut comprendre que
beaucoup de vos admirateurs ont peur de l'avouer, à
cause de l'haine des Juifs. Je ne crois pas que vous
serez en aucun danger si vous venez ici - la vie est
bien réglée - mais il faut penser à cet antagonisme, qui
existe, justement on non.
Quant à vos livres je veux beaucoup les faire
reparaître ici, en commençant avec Death on the Installment Plan toute
de suite. J'ai reçu la permission de Marks de m'en servir de sa
traduction, et j'ai fait aussi les arrangements nécessaires avec Little
Brown. Je suis en relation avec Milton Hindus et lui, il va écrire
l'introduction pour le volume. / Je vous souhaite, cher Monsieur
Céline, tous les bons vœux possible, et je vous prie de m'écrire de
nouveau bientôt. Je suis un grand admirateur de votre œuvre, et je
veux faire tout ce que je puis pour vous relancer aux Etats-Unis. /
Sincèrement. "
(Lettre du 30 avril 1947, L'Année Céline 1997, Du
Lérot).
*
Marianne LAUTROP (traductrice danoise de Céline,
1937-2012) : "
De la musique avant toute chose ! Quand j'ai été
présenté à Marianne LAUTROP par le professeur
François Marchetti, je venais de lire sa traduction en
danois de Mort à crédit. Ce roman avait été
publié peu de temps auparavant par les Editions
Vandkunsten à Copenhague. Dès la lecture des premières
pages, j'ai été impressionné par la façon claire et
vivante dont Marianne avait recréé la prose
célinienne en danois.
Traducteur moi-même, je mesurais le gigantesque effort
que la traductrice avait dû fournir pour rendre fluide
et aisé un texte aussi exigeant. Une si belle traduction
ne pouvait être que le résultat d'innombrables journées
d'intense labeur. Et cela vaut aussi pour la traduction
de " la trilogie allemande ". Avoir traduit ces quatre
gros ouvrages de Céline est un exploit digne de la plus
vive admiration. Par la suite, j'ai eu, à plusieurs
reprises, l'occasion de parler avec Marianne de
Céline... de littérature... de traductions... et de la
France.
(...) C'est avant tout la passion qui animait
Marianne. La passion des livres de Céline, de Céline
lui-même et de sa petite musique. En plus d'avoir
rendu accessible au public danois cette œuvre capitale,
Marianne, on ne le soulignera jamais assez,
possédait ce don unique de faire naître la petite
musique qui est particulière à la langue danoise.
Nous ne nous sommes que très peu vus - trop peu, hélas - mais de
connaître Marianne a été pour moi un privilège.
(Kim,
Witthoff, traduction François Marchetti, BC n° 345,
octobre 2012).
* Emmanuel
Le ROY LADURIE (historien moderniste): " Signant un hommage à Henri
Amouroux, Emmanuel LE ROY LADURIE relève " qu'il y a des
nostalgiques sinon de Vichy, du moins de certains écrivains " collabos " qui
n'étaient pas dénués de talent, et dont " on " s'acharne sans beaucoup
de succès à perpétuer la mémoire ". Et d'ajouter : " En ce qui concerne
Céline, qu'on le regrette on non, cette perpétuité paraît parfaitement
garantie. Amouroux considérait du reste, il me l'a dit à plusieurs
reprises, que la célinolâtrie contemporaine comportait et comporte
encore bien des points d'interrogation qu'il n'est pas possible
d'expliciter ici."
C'est regrettable. On aurait justement apprécié
que LE ROY LADURIE nous en dise davantage. Comme disait Céline
soi-même : " Il faut tout dire ou bien se taire. "
(In memoriam Henri
Amouroux, Commentaire n°120, hiver 2007-2008, dans BC n°294).
*
Emmanuel LEVINAS (philosophe, 1906-1995) : " Le
Voyage au bout de la nuit de Céline d'où Sartre
n'hésitait pas à tirer l'épigraphe de La Nausée,
a peut-être été le
signal de cette anti-littérature qui
est l'une des formes de ce qu'on appelle aujourd'hui l'anti- humanisme
et l'une de ses raisons. (...) Dans le langage quotidien
nous approchons le prochain au lieu de l'oublier dans
l'enthousiasme de l'éloquence. C'est dans la proximité du prochain, tout autre
dans cette proximité, que, par delà les écarts de
la rhétorique, naît la signifiance d'une
transcendance, allant d'un homme à l'autre, à
laquelle se réfèrent les métaphores capables de
signifier l'infini. "
(Hors sujet, 1997, dans Spécial
Céline n°8, E. Mazet).
*
" Toute l'acuité de la honte, tout ce qu'elle comporte
de cuisant, consiste précisément dans l'impossibilité où
nous sommes de ne pas nous identifier avec cet être qui
déjà nous est étranger et dont nous ne pouvons plus
comprendre les motifs d'action. [...] La honte apparaît
chaque fois que nous ne pouvons pas faire oublier notre
nudité. Elle a rapport à tout ce que l'on voudrait
cacher et que l'on en peut pas enfouir (...) cette
préoccupation de vêtir pour cacher concerne toutes les
manifestations de notre vie, nos actes et nos pensées.
Nous accédons au monde à travers les mots et nous les
voulons nobles. C'est le grand intérêt du Voyage au
bout de la nuit de Céline que d'avoir, grâce à un
art merveilleux du langage, d'avoir dévêtu l'univers,
dans un cynisme triste et désespéré. "
(De l'évasion dans Recherches philosophiques, V, 1935-1936, in
Rétrospectives 2014, www.lepetitcelinien.com).
*
Pasteur François LOCHEN
(pasteur 1916-2004)
: " Un dimanche de l'automne 1947, un auditeur du culte,
que j'avais présidé à
l'Eglise Réformée française de Copenhague,
dont j'étais le conducteur spirituel, est venu à l'issue de la
cérémonie, afin de se présenter : " Docteur Destouches, puis-je venir
vous voir, Monsieur le Pasteur... ? Et j'ai reçu, non pas une, mais des
visites de Céline...
Dirai-je enfin que Céline reste, pour moi, un type d'homme
d'un patriotisme exceptionnel, d'une sensibilité profonde, d'une
curiosité inquiète et discrète de l'Au-delà, qui lui semblait
douloureux et incompréhensible... "
(L'Herne, p.85, Ed. Belfond,
1968).
* " Vous l'avez connu il sortait de
prison, comment était-il ? - Un homme qui souffrait. Il
était malheureux. Il était rejeté de tous. Il se sentait
obligé de haine. Et puis nous avons parlé parce que j'avais
quand même la conviction de mon ministère et de mon
témoignage évangélique. Nous avons parlé des raisons pour
lesquelles il était au Danemark, pourquoi il avait été mis
en prison, il m'a dit : " ne regrette rien de ce que j'ai
dit, écrit ou fait, mais il me l'a dit avec des sanglots
dans la voix.
C'était une émotion profonde, je ne regrette qu'une
chose, c'est que certains, croyant être dans la ligne de ma
pensée, ont pu avoir des comportements qui leur ont fait
supporter la souffrance, voire même perdre la vie à cause de
cette attitude. "
(Interview de Claude-Jean Philippe, Une légende, une vie, 1976).
*
Yoann LOISEL
(Psychanalyste, médecin, responsable d'une unité de
soins pour adolescents) : " On oublie combien, dès la
parution de Voyage au Bout de la Nuit, Céline a
montré sa capacité à fragmenter les repères les plus
habituels, combien son œuvre pose inauguralement autant
que constitutivement un problème d'intégration.
Ainsi,
s'il appartient à la puissance de cette écriture de
diviser parce que son créateur serait divisé, c'est non
pas à la manière du lieu commun habituellement ressassé,
dressé sur la représentation d'une coupure entre les
deux premiers romans et la suite, mais selon des lignes
de faille plus multiples et précoces.
Celles-ci me semblent liées à d'incontournables contraintes,
énigmatiques, qui auront incarcéré tôt la pensée de
l'écrivain en en stimulant le bouillonnement autant
qu'un risque d'écrasement. De ses efforts de dégagement,
surtout de sa nécessité à saisir et se ressaisir, Céline
parvient à nous entretenir du souci qui incombe à tous :
l'exigence d'esprit sur l'instinct, sinon sur la
possibilité d'être ravalé vers notre fond le plus bête.
De manière évidente,
peut-être trop, ce souci d'intégration renvoie aux
premières coutures entre corps et pensée, à la mère
d'autant plus qu'en cette direction, chez Céline,
quelques singularités interpellent immédiatement : le
choix du pseudonyme, la récurrence des femmes enceintes
dans les romans, bien sûr la thèse consacrée à
Semmelweis.
Il semble se résigner par là, dans le moteur de l'écriture, un axe
tournant autour du maternel, un maternel souvent grave,
en voie pour une délivrance irrésistiblement ambiguë.
(Yoann Loisel, Céline et ses pièges, Année Céline 2017, p.213)
*
Andrea LOMBARDI ((directeur du site consacré à
Louis-Ferdinand Céline : lf-celine.blogspot.com) : "
Mme Duraffour et M. Taguieff sont, depuis la sortie de
l'ouvrage,
encensés en tant qu' " experts de Céline ", parvenant à
mettre dans l'ombre des auteurs comme Eric Mazet, Henri
Godard, David Alliot, Emile Brami, Pierre Assouline,
Régis Tettamanzi (lequel a dirigé l'édition critique des
pamphlets parue en 2012 au Canada, grâce à une
législation sur le droit d'auteur différente de
l'Europe, travail évidemment jugé par le couple "
insuffisant " : il est vrai que ce ne sont que 230 pages
de notes d'un petit professeur d'université qui se
consacre à ce sous-écrivain Céline depuis des années.)
Et
bien avant qu'Antoine Gallimard fasse un pas en arrière,
après avoir résisté initialement à des dizaines de
lettres de députés, de l'ambassade israélienne ainsi que
d'une pléthore de personnages connus allant des
ministres de la République aux bloggeurs, nous signalons
qu'il y avait eu la possibilité concrète d'une édition
universitaire accompagnée de notes critiques. Laquelle
ne pouvait être laissée dans les mains des experts
céliniens, mais devait au contraire être menée par une "
équipe pluridisciplinaire ". Et parmi ceux-ci, qui
trouvons-nous ? Mme Duraffour et M. Taguieff, bien sûr !
Assez pathétique et consternant, ne trouvez-vous pas ?
(Andrea Lombardi, L'affaire Céline vue d'Italie, Spécial Céline n° 28,
p. 8).
*
Jean-Paul LOUIS
(éditeur):
" La seule raison d'être du commentaire
critique est d'expliquer les écrits et les faits qu'ils recouvrent en les éclairant
les uns par les autres. Ce rappel d'un principe fondamental serait banal si les soupçons, les interprétations et les inventions
pures et simples (quelles que soient leurs sources) n'avaient cessé de
salir Céline comme jamais ne l'a été un écrivain, dans l'histoire
pourtant sordide des rapports de la société et
de ses artistes.
(...)
Si l'objectivité parfaite est un leurre, j'espère que le lecteur verra
que je ne me dérobe pas à la discussion quand elle est difficile. Il
verra également que je ne cherche pas à cacher mon attachement pour
Céline, pour son art, du meilleur au pire : curieuse sympathie qui se
développe entre un écrivain et son éditeur par-delà le temps qui les
sépare, sans laquelle nul ne saurait lire, comprendre et faire
connaître quelque œuvre que ce soit. "
(Lettres à Marie-Canavaggia,
Gallimard, 2007).
* Jeanne
LOVITON (Jean VOILIER, 1903-1996, éditrice, romancière et
avocate) : " Il faudra tout de même que vous le sachiez plus amplement
un jour, car, lorsque je parcours la correspondance échangée avec lui
au long des années, je me
demande
si vous lui rendiez ce qu'il vous donnait et si vous
pouviez anticiper et prévoir la fermeté des sentiments
dont il devait donner, par la suite, en votre faveur un
si haut témoignage.
Aux pires moments, caché chez moi, ayant perdu cette
maison d'édition qu'il avait créée, il lui arrivait de
reprendre vos livres, de m'en lire à haute voix des
passages dans une sorte de fièvre et dans la joie,
qu'entre autres choses, nous nous accordions sur votre
génie. Louis-Ferdinand, ce n'est pas lorsqu'on a vécu
tout cela, qui n'a pas été aussi dur que votre destin de
ces dernières années peut-être, mais qui s'est terminé
de telle façon - vous le reconnaîtrez - votre sort est
un million de fois plus enviable.
Demandez à votre admirable compagne. Ce
n'est pas lorsqu'on a eu l'esprit martelé par votre nom de jour et de
nuit, lorsqu'on se sent héritière de toutes les faiblesses et de tous
les enthousiasmes d'un homme, qu'on veut vous " ignorer ". Pourquoi ? En
vertu de quel malthusianisme me refuserais-je à imprimer le " Voyage ",
par exemple, si ce n'était dans votre intérêt bien compris ? "
(Lettre
du 14 janvier 1948, www.thyssens.com).
* André LWOFF
(chercheur en biologie, prix Nobel de médecine, second président de la SEC
succédant à Ph. Alméras, 1902-1994): " C'est au
cours de l'été 1920 qu'il rencontra Louis Destouches à la station
biologique de Roscoff où le futur écrivain avait entrepris des
recherches sur la physiologie des vernicules appelées " convoluta
". André LWOFF avait conservé le souvenir de sa conversation "
semée de
formules
saisissantes, de rapprochements et de jugements inattendus ".
C'est en 1932,
année de parution du Voyage, que LWOFF obtient son
doctorat ès Sciences. Six ans plus tard, il prend à l'Institut Pasteur
(l' "Institut Bioduret Joseph" de Voyage) la direction
du service de physiologie microbienne. Prix Nobel de médecine en 1965
partagé avec ses collaborateurs Jacques Monod et François Jacob.
Admirateur de l'œuvre de Céline, il accepte la présidence de la
Société des Etudes céliniennes fondée en 1976. Ce médaillé de la
Résistance n'était pas un sectaire. "
(B.C.
n°146, novembre 1994).
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